PRATIQUES PROMETTEUSES
Un balado sur la santé mentale et les dépendances

Épisode 6 : Québec

Épisode 6 : Le réseau d’éclaireurs en santé psychologique (QC)

28 avril 2021 – Le Québec met en œuvre un réseau d’éclaireurs en santé psychologique sur tout le territoire québécois. L'équipe québécoise, composée de plus de 150 intervenants sociaux et communautaires, ira à la rencontre de tout le Québec, incluant les personnes les plus vulnérables de la société, afin d’augmenter la capacité d’adaptation et la résilience des individus et de la communauté. Les membres de l'équipe ont comme objectif de gagner la confiance des citoyens et promouvoir la santé psychologique en renforçant la mobilisation communautaire et la participation citoyenne, afin que personne ne soit oublié.

Suivez-nous
   

Voir tous les épisodes

Loretta O’Connor : Bienvenue à ce sixième épisode de la série de balados Pratiques prometteuses. Cette série de balados est un projet mis sur pied par les premiers ministres des provinces et territoires. Elle vise à faire connaître les pratiques prometteuses qui ont cours à l’heure actuelle dans chaque province et chaque territoire. Dans chaque épisode, nous vous présentons des experts du secteur et nous vous en dirons plus sur des pratiques et programmes novateurs. L’objectif des premiers ministres avec ce balado est de réduire les préjugés associés aux enjeux de santé mentale et aux problèmes de dépendances et de favoriser, entre les provinces et les territoires, une approche plus ciblée et axée sur la collaboration. Je cède maintenant la parole au premier ministre du Québec, M. François Legault.

Premier ministre François Legault : Bonjour tout le monde! Je suis très content que le Québec participe à cette initiative du Conseil de la fédération. C'est l'occasion de partager notre vision en matière de santé mentale, de dépendance, d'itinérance. La santé mentale est au cœur de mes priorités depuis mon arrivée au gouvernement et la situation a beaucoup changé depuis un an avec la pandémie. Personne n’était préparé à ça. C'était dur pour beaucoup de monde et on continue de chercher l'équilibre entre la santé mentale et la santé physique. Les besoins vont continuer d'être importants, même après la crise. Je m'inquiète particulièrement des conséquences sur le bien être des jeunes. On a été forcés de prendre des décisions difficiles pour combattre le virus. Mais je suis très fier de dire que le Québec a réussi à garder ses écoles ouvertes pendant une grande partie de la pandémie. Ça a permis aux jeunes de continuer à avoir une vie sociale. Je sais que la pandémie a créé ou empiré certains problèmes et on prend les moyens pour répondre à cette augmentation des besoins, pas juste pour les jeunes, mais pour l'ensemble de la population. Dans la dernière année, le Québec a investi des sommes sans précédent en santé mentale et en santé psychosociale. Notre ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, le docteur Carmant, va vous parler de projets innovants pour mieux soutenir la population. Je sais à quel point c'est important pour lui. Je termine donc en le remerciant et en remerciant l'ensemble des équipes qui ont rendu ce projet possible. Bonne écoute.

Ministre Lionel Carmant : Bonjour, très heureux d'avoir cette tribune. D'emblée, merci pour l'invitation que j'ai accepté avec grand plaisir. C'est une initiative vraiment intéressante et pertinente de donner la parole à différents intervenants partout au Canada afin de partager des innovations ou des pratiques prometteuses et inspirantes.

Les enjeux en matière de santé mentale, de dépendance et d'itinérance dans les communautés rurales, éloignées, et du Nord nous préoccupent tous. Pour mieux soutenir les personnes aux prises avec ces problématiques, il faut réduire la stigmatisation qui y est associée. C'est pourquoi plusieurs actions sont déployées au Québec, par exemple des campagnes de sensibilisation du grand public à l'égard des troubles mentaux, de la dépendance et de l'itinérance, comme la Nuit des sans-abri, la Semaine de prévention des dépendances et la sensibilisation du réseau de la santé et des services sociaux à l'embauche et au soutien des employés présentant un trouble mental ou des symptômes associés. Des actions pour réduire la judiciarisation des personnes aux prises avec cette problématique. Il faut vraiment miser sur le principe de la primauté de la personne. Ça passe par la promotion et soutient la défense des droits et l'exercice de la citoyenneté. On parle de logement, d'implication sociale, travail, études, etc. Il faut surtout encourager et soutenir la participation des personnes et de membres de leur entourage à la prestation, à la planification et à l'organisation des services. Aussi, nous devons promouvoir la pratique de la pair-aidance et reconnaître le savoir expérientiel. C'est très important d'utiliser des pratiques dont l'efficacité est reconnue en privilégiant entre autres, les stratégies de contact dans des programmes d'adaptabilité auquel participe activement le réseau de la santé et des services sociaux.

Également, nous mettons de l'avant un programme d'accompagnement justice santé mentale, programme de traitement de la toxicomanie de la Cour du Québec. Nous avons aussi une stratégie d'accès aux services de santé, aux services sociaux, pour les personnes en situation d'itinérance ou encore à risque de le devenir.

Les communautés rurales éloignées et du Nord font face à certains enjeux bien particuliers. Les soins et les services doivent être adaptés pour mieux répondre aux besoins de la population. Nous avons aussi un défi supplémentaire, soit l'embauche et la rétention de la main d'œuvre, un défi rehaussé par l'éloignement. Une avenue à privilégier est bien sûr le développement des soins et services virtuels, que ce soit en télé évaluation, en téléconsultation et en télé comparution. On doit donner accès aux différentes communautés de pratique, par exemple pour la Communauté de pratique médicale en dépendance, le Centre d'expertise et de collaboration en troubles concomitants, etc.

Pour rejoindre les personnes vulnérables, il faut mettre l'accent sur la continuité et la proximité. Les services de proximité doivent être accessibles et leurs organismes communautaires doivent être inclus dans le continuum de soins et de services en santé mentale et offrir dans la langue parlée par les personnes qui désirent recevoir ces services. Nous portons une attention particulière aux transitions, par exemple des services jeunesse au service pour adultes et aux sorties des centres jeunesse, des centres de détention, des hôpitaux. Il est si important de développer le démarchage et des milieux de services novateurs pour rejoindre les personnes n'utilisant pas les services traditionnels. Par exemple, ici on a Aire ouverte, un réseau de services intégrés pour rejoindre les jeunes de 12 à 25 ans dans leur milieu de vie.

Aussi, on travaille sur le développement de programmes de justice alternative, par exemple le Programme d'accompagnement justice - santé mentale. J'accorde une grande importance à la fluidité de ces trajectoires, se basant sur un modèle de soin par étapes. On travaille sur le Programme québécois pour les troubles mentaux et la hiérarchisation des services en psychiatrie légale. On mise sur le déploiement consolidation de services de proximité et le maillage entre les partenaires communautaires et le réseau de la santé et des services sociaux. C'est important d'insister là-dessus. Par exemple, une présence accrue d'intervenants CISSS en dépendance santé mentale, en ressource d'hébergement d'urgence pour les personnes en situation d'itinérance. Pour répondre aux besoins de tous, nous avons le souci de s'adapter à toutes les cultures. Des consultations auprès des Premières Nations et des Inuits ont d'ailleurs eu lieu fin janvier 2021 dans le cadre de l'élaboration des prochains plans d'action en santé mentale et en itinérance. Les enjeux soulevés seront assurément pris en considération dans les travaux qui sont menés. Aussi, il y aura des consultations ethnoculturelles en santé mentale en avril. Nous évaluons également la possibilité d'appliquer l'analyse différenciée selon la diversité au Plan d'action interministériel en santé mentale et aussi à celui en itinérance. Nous considérons la co-construction des programmes, services et outils avec les communautés et l'adaptation culturelle et inclusion des croyances ancestrales. Nous allons également déployer des formations sur les réalités autochtones dans différents établissements au Québec. J'écouterai avec très grand intérêt les échanges entre les docteurs Généreux et Bleau. J'aurai l'occasion de revenir en conclusion pour vous partager mes impressions. À tout à l'heure.

Dr Pierre Bleau : Bonjour à tous. Mon nom est Pierre Bleau. Je suis médecin psychiatre, je suis directeur national des services en santé mentale et psychiatrie légale au Québec et j'ai la chance aujourd'hui de pouvoir m'entretenir avec le docteur Mélissa Généreux, médecin spécialiste en santé publique. Bonjour Mélissa.

Dre Mélissa Généreux : Bonjour Pierre.

Dr Bleau : On va parler Mélissa si tu le veux bien d’un mesure structurante qui a été annoncée en novembre 2020 par le ministre Carmant, ministre délégué à la santé, qui était, sa demande était de déployer à la grandeur du Québec et dans la communauté un réseau d'éclaireurs en santé mentale. Je pense que c'est quelque chose qui te rejoint personnellement, tu as été impliquée pendant plusieurs années avec ce concept-là et on a fait appel à tes services pour nous aider au Québec à déployer ce réseau d’éclaireurs santé mentale. Parle-nous de ton expérience par rapport à cela.     

Dre Généreux : Premièrement, je tient vraiment à saluer cette initiative que je trouve incroyable. On est vraiment chanceux au Québec et je me trouve choyé de pouvoir faire partie un peu du développement et de la mise en œuvre de l'initiative. Je vous dirais que ça vient me chercher à plusieurs égards parce que vous l'avez dit, je suis médecin spécialiste en santé publique, mais dans mon parcours, j'ai été également directrice de santé publique pour la région de l'Estrie de 2013 à 2019. C'est un peu particulier parce que j'ai été nommée le 2 juillet 2013. J'étais toute jeune, 33 ans, j’étais bien contente de devenir la directrice dans ma région, mais je ne me doutais pas que quatre jours plus tard, on allait m'appeler en plein milieu de la nuit pour me dire que l'inimaginable était arrivé. C'est-à-dire que la Ville de Lac-Mégantic connaissait une énorme tragédie, la tragédie ferroviaire dont vous avez tous entendu parler, et je vous dirais que ça a complètement changé le cours de ma carrière. Ma perspective comme médecin de santé publique, c'est vraiment à partir de là que, bien sûr, sur le coup, un peu comme ce qu'on fait avec la pandémie actuellement, on a géré le feu, l'urgence, mais dans les semaines qui ont suivi, les mois, on a commencé à constater sur le terrain que le moral de la population n’était vraiment pas à son meilleur. On a voulu commencer à bien documenter la situation parce que c'est juste une impression ou est-ce que le moral de la population est réellement plus bas qu'il l'était avant la tragédie? On a fait des enquêtes populationnelles et on a vraiment pu documenter que ça n'allait pas bien. Et suite à ça, on a réussi à développer un modèle, on a écouté la population qui nous ont réclamé d'avoir une approche en santé mentale qui allait plus à la rencontre des gens dans la communauté, beaucoup moins une approche centrée sur le clinique et une approche davantage communautaire. Donc, on a énormément appris et je suis contente de voir qu’aujourd’hui, ces apprentissages-là, très riches, viennent servir l'ensemble du Québec dans un contexte aussi de crise lequel, bien sûr, la crise sanitaire liée à la pandémie.

Dr Bleau : Ça c'est important de le mentionner Mélissa parce qu’intuitivement, quand on est clinicien, on a les données, puis on pourra parler dans quelques minutes des données aussi que vous pilotez, les recherches que vous pilotez pour la détresse psychologique de la santé durant la COVID, durant l'infection, la pandémie qu’on vit tous, mais c'est important de mentionner que ce n'est pas parce que la détresse psychologique de la population augmente que ça se transpose nécessairement un besoin clinique. Comme clinicien, on pense tous, la détresse augmente, donc on devrait avoir plus de services spécialisés psychologiques pour nous aider, mais ce n'est pas ce que vous avez constaté à Mégantic et c'est aussi ce qui nous a interpellés. Quand on a eu à décider, qu'est-ce qu'on était pour mettre sur pieds, on s'est dit ça peut peut-être pas passer par des services cliniques. C'est peut-être pas les besoins que la population a actuellement.

Dre Généreux : Mais je pense que comme formation médicale à la base, on doit l'avouer, on a été un peu driver, excusez l'anglicisme, mais à affronter la maladie, la santé psychologique ou les troubles de santé psychologiques de manière clinique. On veut prendre en charge, on veut offrir le bon traitement, que ce soit un traitement par médicaments, par psychothérapie. Effectivement, nous, à Lac-Mégantic, lorsqu'on a vu qu'il y avait beaucoup de manifestations de stress post-traumatique, des manifestations de symptômes dépressifs, d'anxiété, ça a été un premier réflexe. Et ce qu’on s'est rendu compte, qui nous a vraiment ouvert les yeux, c'est que parallèlement au fait qu'il y avait de plus en plus de problématiques ou de symptômes témoignant de problématiques au niveau de la santé psychologique, on constatait que les gens allaient de moins en moins consulter. Et lorsqu'on leur a demandé : « Est ce que c'est parce qu'il n'y a pas assez de services offerts? Voulez-vous qu'on rajoute des psychologues, des psychiatres, des médecins de famille? » Ils ont dit non, non, non. Il y a plusieurs raisons qui expliquent ça, mais premièrement, on ne se sent pas malade nécessairement. On n'a pas nécessairement le goût de rentrer dans le système, officiellement, de porter l'étiquette. Il y a peut-être encore un peu un enjeu de stigmatisation lié à la santé mentale, mais c'est surtout que les gens disaient, la situation à laquelle on est exposé, c'est ça qui est anormal. Je ne me considère pas anormal, je considère juste que je réagis du mieux que je peux avec des hauts et des bas. Et oui, parfois, j'ai des bas qui peuvent être assez difficiles, des mauvais moments, mais je n'ai pas pour autant le goût d'aller consulter. J'ai juste le goût d'être bien, finalement, à travers ma vie de tous les jours. C'est une fois qu'on a compris ça qu’on s'est dit, pourquoi ne pas déplacer les ressources quand on était prêt à mettre un surplus à l'hôpital ou à la clinique, les déplacer pour que ces ressources-là soient davantage à pied d'œuvre dans la communauté, pour essayer de redynamiser un peu la communauté et donc offrir des occasions aux gens de pouvoir se réimpliquer comme citoyens, de se mobiliser, de se reconnecter entre eux, de redonner un certain sens à leur vie. Et je pense qu'on a vu juste parce qu'on a vu vraiment des résultats très, très intéressants à Lac-Mégantic ces dernières années.

Dr Bleau : C'est un peu ce qui nous a interpellés. En tout cas moi, comme clinicien ou pour avoir fait de la recherche dans les traumas de masse, de voir qu’effectivement, la détresse augmente, mais que plus on est proche des gens, puis c’est un peu le pari qu'on a fait de transposer un peu ce que vous aviez constaté à Mégantic, avec la pandémie. Vous êtes aussi au cœur des recherches, justement, sur la détresse émotionnelle de la population. J’aimerais ça que vous nous parliez de cette similitude-là et puis en quoi on est emballés justement de pouvoir profiter de cette expérience-là pour l'avenir.

Dre Généreux : Bien en fait c'est intéressant parce qu’à première vue, est ce qu'on peut vraiment penser qu'une catastrophe ferroviaire et une pandémie, il y a des similitudes? Plusieurs personnes pourraient dire que c'est complètement différent comme situation. Ils auraient raison à certains égards. Par contre, au niveau de la perturbation que ça vient engendrer dans toutes nos sphères de la société, je pense qu'on va tous convenir que la pandémie est un évènement traumatisant, perturbant autant que la tragédie ferroviaire a pu l'être, mais évidemment à plus petite échelle pour la communauté de Lac-Mégantic. Et c'est vraiment sous cette prémisse là que dès février 2020, mon équipe de recherche et moi, à l'Université de Sherbrooke, on était déjà en train de préparer une demande de subvention, avec un peu ces bases scientifiques, comme quoi on anticipait que la pandémie, qui n'était même pas encore une pandémie à l'époque, on anticipait que cette grande crise sanitaire mondiale allait avoir des répercussions majeures, mais cette fois-ci, à l'échelle de l'ensemble de la planète, puisqu'on parle d'une crise mondiale. À travers la subvention qu'on a pu acquérir de l'Institut de recherche en santé du Canada, ce qu'on a fait, c'est qu'on a pu créer des enquêtes populationnelles. Donc on a pu aller mesurer l'état de santé psychologique de l'ensemble de la population au Québec, ailleurs au Canada aussi, et même dans sept autres pays à travers la planète, allant jusqu'à la Nouvelle-Zélande. Donc, on a vraiment ratissé large et c'est fascinant, et quand même aussi inquiétant à la fois de voir que peu importe on se trouve où sur la planète, incluant au Canada, la réponse psychologique est assez négative, comme on pouvait l’anticiper. Donc nos canadiens, canadiennes, nos québécois, québécoises, tout le monde sur la planète sont nombreux à nous rapporter des symptômes, soit de dépression ou des symptômes d'anxiété. Je ne dis pas que ce sont des gens qui sont atteints d'un trouble, qui ont besoin d'être pris en charge, mais il y a quand même le quart de notre population adulte en ce moment qui rapporte des symptômes compatibles avec un trouble d'anxiété généralisé, par exemple, ou une dépression majeure. Donc, c'est quand même assez révélateur. 

Dr Bleau : Ça c’est important de le dire parce que quand on regarde les autres pandémies si on regarde dans les cent dernières années, ce n'est pas vrai que la détresse s'est nécessairement transposée en ce qu'on pourrait appeler prévalence de maladies mentales ou de pathologies plus sérieuses, mais la détresse est quand même au cœur des préoccupations qu’on a. Donc, toute cette agilité et tout ce projet d'établir un réseau d'éclaireurs en santé mentale, j'aimerais que vous me parliez de comment ça s'est passé, justement, quand vous l'avez fait au Lac-Mégantic, puis qu’est-ce qu'on est aussi en train de faire? Parce que je pense, c'est important aussi de voir que ce n'est pas une intervention clinique, c'est un repérage. Mais il y a aussi une notion, une notion qu'on est moins à l'aise, moins confortable en médecine parce qu'on ne l’a pas appris dans les écoles. En fait, tout notre système de santé, on pourrait dire, est basé sur un modèle de pathogenèse, donc de comprendre la maladie, mais ici, l'approche est différente. Là, on a pris une approche avec un concept que les gens connaissent moins dans le milieu clinique, une approche de salutogenèse. Parlez-nous de ce parcours, de ces éclaireurs. Qu'est-ce qu'ils font concrètement dans le milieu?

Dre Généreux : En partant, je pense que c’est important de souligner la salutogenèse comme étant au coeur de toute cette approche-là, donc salutogenèse, ça le dit un peu, en fait, c'est l'inverse de la pathogenèse. Donc c'est assez de s'intéresser, d'adopter une lunette selon laquelle on essaie de comprendre qu'est-ce qui cause le bien-être plutôt que la pathogenèse qui elle vise à mieux comprendre ce qui cause la maladie. Donc nous, ce qu'on veut, c'est de voir comment on peut créer plus de bien-être, plus de santé psychologique et même de santé physique à l'échelle de nos communautés. Et pour ça, ça nous oblige à pas juste regarder les facteurs de risque et les problèmes, mais de voir où sont nos forces dans notre communauté, où sont nos richesses, nos ressources et comment on ne peut pas les mettre davantage à profit. Et je vous dirais qu'à Lac-Mégantic, assez intuitivement, rapidement, on s'est rendu compte qu'il fallait faire ça parce que écoute, dans nos premières enquêtes ce qu'on constatait, c'est que sept adultes sur dix à Lac-Mégantic, deux ans après la tragédie, rapportaient toujours des manifestations de stress post-traumatique, de type cauchemars, faire des sursauts a rien, éviter à tout prix tout ce qui nous fait penser à la tragédie ferroviaire. C'est quand même majeur 7/10. Et c'est là qu'on s'est dit il faut penser autrement. On ne peut pas simplement dire que Lac-Mégantic est une tragédie, un cumul d'un problème. Ce n'est pas vrai. Il y a plein de gens qui sont mobilisés ou qui ont le goût de se mobiliser. Suffit de peut-être les connecter davantage entre eux. Ce qu'on a fait, c'est qu'on a demandé au ministère de la Santé Services sociaux à l'époque, d'avoir ce qu'on appelle aujourd'hui une équipe de proximité qui est un peu à l'origine de notre réseau des éclaireurs cette fois-ci, c'est à l'échelle de tout le Québec. Donc, cette équipe de proximité là, c'est une équipe qui travaille au sein du réseau de la santé et des services sociaux, mais dont l'ensemble de la pratique se fait dans la communauté et non pas en milieu clinique. Par exemple, on peut avoir travailleurs sociaux, techniciens en travail social, un peu comme du travail de rue. On peut avoir des organisateurs communautaires, qui sont plus là pour mettre sur pied ou favoriser la mise sur pied de projets de mobilisation communautaire. Donc tout ça s'est rapidement mis en œuvre à Lac-Mégantic. On s'est mis à faire du porte à porte, un autre anglicisme, mais du reaching out, de l'approche de proximité pour dire aux gens « Eille, on est là et savez-vous quoi, on ne veut pas faire le travail à votre place. On veut vous accompagner. On veut vous faire réaliser à quel point votre communauté est riche, pleine de ressources. Il suffit juste de les mettre un petit peu plus en lumière, les connecter, les réseauter. » Et la magie s'est opérée d'elle-même. J'ai vu des cas, Pierre, des gens qui vivaient, souffraient de solitude, d'isolement qu'on ne voyait pas, ce n’est pas des gens dont on entendait parler en clinique. Ils ne consultaient pas et pourtant, ils n'allaient pas bien. Des gens qui avaient perdu leur emploi, qui consommaient probablement trop d'alcool, qui s'étaient séparés, bref, qui avaient eu des années difficiles suivant la tragédie et qui, par une simple invitation à pouvoir reconnecter avec sa communauté, s'impliquer dans un comité qui vise à organiser une activité quelconque ont retrouvé un peu leur goût d’être citoyens à nouveaux, ont retrouvé un sens à tout ce qui venait de se passer malgré qu'à première vue, ça ne fasse pas de sens, une tragédie ferroviaire qui détruit un centre-ville tout entier. Donc vraiment en brisant la solitude, en offrant la chance aux gens de s'impliquer socialement dans différentes activités, que ce soit l'art, la culture, le sport, l'animation sociale quelconque on a vraiment réussi à sauver des vies. Et c'est sur cette base qu'on s'est inspiré pour proposer le réseau des éclaireurs qui est en train de voir le jour partout au Québec. 

Dr Bleau : Ce qui est bien, parce que quand on parle d'éclaireurs, plusieurs vont penser, puis on se l'est fait dire aussi que ça existe déjà. On a des éclaireurs, des sentinelles qu'on appelle aussi. On connaît le concept. Pour ce qui est de la prévention, du suicide par exemple ou même pour les populations plus aînées, quand on a décliné ce projet, la plupart des gens autour référençaient un peu ce qu'on voulait mettre sur pied, en disant que ça existe déjà. Mais ce qui est important, et puis pourquoi on les a appelés éclaireurs en santé mentale, c'est qu'on voulait leur donner un coffre à outils aussi qui répondait à une prescription psychologique et non pas faire ce qu'on faisait déjà, soit pour combler des besoins sociaux. Donc, tu viens nous parler de la prescription sociale. Cette prescription sociale qui est au cœur de données, en salutogenèse on parle du principe, du sentiment de cohérence, de donner sens à ce que les gens ont vécu et leur permettre d'aller chercher ce dont ils ont besoin pour faire un sens et retrouver la santé. C'est un pari qui, intuitivement a l’air banal, mais qui montre un très grand pouvoir, surtout celui d'aller dans la communauté et non pas de demander à la communauté de venir plus en clinique ou avec des modèles plus hospitalo-centriques.

Dre Généreux : C'est important de le souligner parce que c’est complètement l'esprit derrière le réseau des éclaireurs. Oui, bien sûr, en étant davantage à la rencontre de la population, ça se peut qu'on repère des gens qui sont en détresse, qui auraient dû depuis longtemps consulter, qui ne sont peut-être pas prêts à le faire, mais qu'on peut progressivement amener vers une prise en charge ou une consultation clinique, des gens qui ont des besoins un petit peu plus intenses et qui nécessitent un soutien clinique. Mais bien honnêtement, à Lac-Mégantic, on ne l’a pas vu si souvent. Je dirais même que c'est l'inverse qu'on a observé. C'est des gens qui étaient suivis par des travailleurs sociaux en clinique, par exemple qui nous était référés pour dire « Écoutez, il me semble que mon patient gagnerait à s'impliquer. Il a des talents quelconques, il me semble de reconnecter, de briser sa solitude, ça serait probablement gagnant pour son développement, son bien-être. Plus que des pilules, par exemple ou un suivi hebdomadaire avec moi. » Ou des fois, c'est une combinaison des deux bien sûr. Donc oui, je dirais que ça fait très social comme discours. Et pourtant, ma formation de base est une formation de médecin comme quiconque ici. Mais quand on voit les résultats quand même assez probants qui résultent de, par exemple, quelqu'un qui décide de s'adonner à la photographie, je l'ai entendu plusieurs fois, on a fait des projets à Lac-Mégantic. C'est un exemple parmi d'autres, mais des gens qui décident de dire « Je vais participer à un projet de photographie où à travers ma lentille, à travers l'art de la photographie, je vais prendre en photo des choses qui me parlent et ensuite, je vais expliquer ce que ces photos-là disent pour moi, je vais mettre une voix là-dessus et à travers ça, on invite les gens à exprimer, à mettre des mots sur quelque chose qui est difficile à exprimer, à faire de l'ordre, un peu dans leur esprit, à redonner un sens à tout ce qui s'est passé. Et je te dis, ça peut avoir un effet autant, sinon plus thérapeutique qu'une prise en charge clinique. Je ne dis pas qu’un est meilleur que l'autre, mais certainement complémentaires.

Dr Bleau : En fait, nous, l'objectif aussi, c'était de lier beaucoup ce réseau d’éclaireurs en santé mentale avec le réseau avec lequel on travaille. De voir les plus-values, aussi de voir comment un était pour contaminer l'autre. Parce qu’au début, le défi était que le réseau clinique nous disait « Oui, on va faire la même chose avec plus d'argent. » Notre objectif, c'est vraiment de changer la culture de soins, de changer l'approche d'une prescription plus sociale, de reconnexion psychologique avec sa communauté, de retrouver un sens à la vie, faire un sens aussi de ce qui arrive en pandémie. Ce n’est pas évident, mais chaque personne se sent moins isolée. Au bout du compte, ont ré-établi quand même des liens sociaux qui sont forts et ça rend compte aussi des objectifs du ministre en ce qui a trait à la santé mentale, d'être plus proches, d’être plus communautaires. Je pense que c'est ce qu'on observe, c'est ce qu'on souhaite implanter.

Dre Généreux : Oui, et je dirais qu'en plus de ça, nos recherches sont vraiment très éloquentes à cet égard-là, à savoir que les gens qui se sentent seuls ou qui ont un sentiment d'appartenance plus faible à leur communauté en ce moment sont parmi ceux qui sont le plus à risque d'avoir une réponse psychologique négative en temps de pandémie, donc plus d'anxiété, plus de dépression. Et au contraire, ceux qui se sentent bien entourés, soutenus, connectés à leur communauté sont d'emblée des gens qui ont des facteurs de protection autour d'eux, qui les protègent contre toute l'adversité à laquelle on fait face. Et j'oserais même dire que là, on parle de pandémie. Mais au-delà de la pandémie, il va avoir d'autres enjeux, d'autres formes d'adversité, des changements climatiques, des évènements météorologiques extrêmes, ça peut être une crise économique quand on sait que ce n'est pas facile et que ça pourrait ne pas l'être encore. Il pourrait y avoir un événement tragique dans une petite communauté. Donc bref, l'adversité, on n'est pas immunisé à ça, malheureusement. Et je pense que d'avoir un tissu social beaucoup plus fort, un tissu social auquel participe le réseau de la santé, dont le réseau de la santé fait partie, ça peut juste nous enrichir pour faire face à la pandémie et la post-pandémie, mais aussi à toutes les futures formes de crises qu'on peut vivre les différentes communautés à l'échelle du Québec.

Dr Bleau : C'est important ça parce que comme tu le mentionnes, de plus en plus on s'intéresse aux tragédies climatiques, on s'intéresse à toutes sortes de tragédies. Au Québec, on est habitué de voir coup après coup au printemps. On parlait, on parle de nos rivières, les rivières débordent. On peut penser que l'implication, la formation aussi des gens avec des moyens de premiers secours psychologiques, c’est une notion, une notion qu'on a imposée dans notre première stratégie de coffre à outils. Et on est en train de décliner plusieurs niveaux de surveillance. On peut toujours bonifier cet aspect-là. En fait, ce qu'il nous reste à souhaiter dans ce contexte-là, c'est qu'on puisse pérenniser ces mesures, qu'on puisse faire en sorte que ce concept de salutogenèse s'imprègne dans notre modèle de soins, dans notre modèle d'intervention.

Dre Généreux : Mais tout à fait et je me dis encore une fois, je prêche pour ma paroisse parce qu'à Lac-Mégantic, c'est un petit peu ce qui s'est passé. En un an, on jette les bases, on crée des liens. Les idées aussi. On est en mode créatif, en mode innovation. Ça, c'est vraiment important. Et mon équipe pourrait vous le dire mieux que moi à quel point c'est stimulant comme travail que de se dire « Moi ce matin, cette semaine, ce mois-ci, je travaille pour ce qui est le plus important. Je travaille pour la communauté. » Donc, si on doit réviser notre offre, s'il y a des nouvelles idées qui arrivent sur la table, on va le faire. Si le réseau clinique nous témoigne, nous partage certaines notions problématiques émergentes, on va s'ajuster. On est constamment en révision, toujours pour être le plus utiles possible à la communauté. Et je vous dirais que oui, ça vient jusqu'à teinter l'approche en milieu clinique parce qu'ils sont beaucoup plus au fait de ce qui se passe dans la communauté de par nos yeux, nos oreilles de notre équipe qui est sur le terrain. Donc c'est vraiment une belle synergie s'est créée et je vous dirais qu’on voit les bienfaits de ça parce qu'avant même la pandémie, nous, l'équipe de proximité était déjà à pied d'œuvre depuis quelques années. Et quand la pandémie est arrivée, ça a été difficile à Lac-Mégantic comme partout ailleurs. Mais la différence, c'est que notre résilience communautaire, grâce à l'équipe de proximité et tous les projets qui s'en sont ensuivis, était quand même très bien développés. Et on a vu que la communauté s'est serré les coudes rapidement en mode bienveillance. On a mis sur pied plein de projets en réaction à la pandémie, projets qui sont encore en développement aujourd'hui, mis en œuvre. Donc il y ait vraiment des belles choses qui se créent. Ça, c'est la preuve que lorsqu'on a les bonnes structures en place et que le réseau clinique en fait partie, tout comme le réseau communautaire, municipale, scolaire et tout ce beau monde-là ensemble, c'est là que la magie s’opère, l'innovation, la créativité et qu’on est vraiment en réponse aux besoins de la communauté.

Dr Bleau : En tout cas vous pourrez dire, Dre Généreux, Mélissa, maintenant vous pourrez dire que vous allez prêcher pour le Québec parce qu’on a la chance au Québec de pouvoir assister à ce déploiement qui est un projet innovateur, un changement de culture, un changement d'orientation supporté aussi beaucoup par cette vision que notre ministre délégué à la santé mentale a, d'une vision beaucoup plus d’aide, d'entraide communautariste, de proximité avec les gens. Je pense que ça répond au mandat que j'avais comme directeur national, aussi, de rehausser tout l'aspect d'intervention communautaire. Puis, on souhaite en fait que la pandémie soit derrière nous. Mais avec un projet structurant comme ça, on pense que l'avenir pourrait être meilleur avec nos interventions. 

Dre Généreux : Et moi, je me dis même que jamais rien n'arrive pour rien. C'est très dommage ce qui s'est passé avec la pandémie, mais ça nous a permis de grandir plus vite que ce que j'aurais pu espérer. Je suis vraiment très fière qu'au Québec, on ait pu mettre sur pied un si beau projet. Je suis vraiment contente pour les Québécois. Moi, je pense que ce projet-là était valable même avant la pandémie. Il va l’être tout autant après et pour les années à venir. Je me dis qu’au moins, on aurait acquis ça. C'est quelque chose qui peut se pérenniser, qui peut apporter beaucoup, beaucoup de résilience à l'échelle de tout le Québec. Je nous trouve chanceux pour ça.

Dr Bleau : En tout cas, je vous remercie pour votre beau travail, votre aide, votre support, les recherches, puis l'intuition d’avoir parti ça.  Puis vous faites bien de le mentionner, c'est important de le dire que à travers les tragédies il y a des opportunités. C'est sûr que ce n'est pas la première chose qu'on saisit, mais il faut quand même être capable de saisir ou d'avoir la résilience nécessaire pour saisir ces opportunités-là. Je pense que là, au Québec, on vient de mettre quelque chose sur pied qui va nous aider dans les années à venir, qui va aider notre communauté à être meilleure puis si on en parle aujourd'hui dans cet extrait de balado, c'est pour partager avec le reste du Canada que cette initiative, on pourrait la voir à l'échelle canadienne et ce serait une plus-value pour tous, pour toutes les communautés du Québec et du Canada.

Dre Généreux : C’est avec grande conviction, je pense que tout le monde pourrait en bénéficier à l'échelle du Canada.

Dr Bleau : Merci beaucoup, Mélissa.

Dre Généreux : Ça fait plaisir.

Dr Bleau : Au revoir à tous.

Ministre Carmant : Merci aux docteurs Généreux et Bleau. Échanges très pertinents qui nous en apprennent davantage sur ces enjeux cruciaux et qui alimentent notre réflexion. Je suis toujours très fier de constater tout ce qui se fait au Québec en la matière. J'ai trouvé particulièrement intéressante la discussion sur le réseau d'éclaireurs que nous avons déployée au Québec. Nous avons de quoi être fiers. J'espère vraiment que cela inspirera mes collègues des autres provinces et territoires. Je suis très heureux de pouvoir compter sur l'expertise du docteur Généreux, vraiment, qui mène des enquêtes dans plusieurs pays. Son analyse des résultats permet de tirer des conclusions et nous permet aussi d'améliorer nos pratiques. La salutogenèse, je trouve ça intéressant et inspirant. Il faut voir ce qui va bien dans notre société et en faire profiter ceux qui ont des besoins en santé mentale. C'est vraiment une solution d'avenir dans les prochaines années. J'espère que des initiatives similaires verront le jour un peu partout au pays. Rappelons-nous, nous devons aller à la rencontre de la population. Cinquante pour cent des gens qui ont des problèmes de santé mentale ne consultent pas. Il faut être créatif dans nos approches pour aller vers eux. Merci de nous avoir écoutés avec une grande attention. Ce fut un plaisir de parler de santé mentale avec vous. Merci également aux docteurs Généreux et Bleau pour nous avoir partagé leur expertise. 

Premier ministre François Legault : Je remercie le ministre Carmant et les docteurs Bleau et Généreux pour leur implication. Ne manquez pas le prochain épisode de la série Pratiques prometteuses. Ça va se passer à l'Ile du Prince Édouard pour en apprendre plus sur le projet Parlons aux fermiers. C'est un projet pour aider les agriculteurs qui font face au stress associé à la vie agricole. Merci de nous avoir écouté et soyez encore des nôtres la semaine prochaine.

 

Voir tous les épisodes